
Alors que l’Égypte se targue de protéger sa minorité chrétienne, une décision judiciaire remet en question le statut foncier du monastère Sainte-Catherine, l’un des plus anciens lieux de vie chrétienne au monde. Derrière les discours rassurants du gouvernement, les chrétiens d’Orient voient poindre une réalité plus inquiétante : même les sanctuaires les plus emblématiques ne sont plus à l’abri des logiques de contrôle étatique et de développement touristique. Une alerte à ne pas minimiser.
Le monastère Sainte-Catherine, situé au pied du mont Sinaï, est l’un des plus anciens monastères chrétiens au monde encore en activité. Fondé au VIe siècle par l’empereur byzantin Justinien Ier, il est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2002. Son isolement dans le désert, son architecture préservée et ses trésors manuscrits en font un lieu unique. Il est aussi un symbole de coexistence interreligieuse : ses moines orthodoxes grecs entretiennent depuis des siècles des relations pacifiques avec les communautés bédouines musulmanes voisines.
Le tournant juridique : une décision judiciaire aux conséquences floues
Le 5 juin 2025, un tribunal administratif égyptien a statué que certaines terres exploitées par les moines – notamment des jardins et des vignobles utilisés depuis des siècles – relèvent du domaine public de l’État. Si les autorités affirment qu’il ne s’agit que d’un réajustement foncier technique, la symbolique est forte : c’est la première fois depuis des siècles qu’une juridiction étatique remet en question la souveraineté de fait exercée par la communauté monastique sur ses terres.
Malgré les déclarations rassurantes du gouvernement égyptien, qui affirme que les moines « ne seront ni expulsés ni privés de leur liberté de culte », cette décision crée un précédent inquiétant.
Le paradoxe Sissi : bienveillance affichée, signaux contradictoires
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Abdel Fattah al-Sissi s’est présenté comme un défenseur des minorités chrétiennes. Il a été le premier président égyptien à assister à une messe de Noël copte, et il a promu la construction de la plus grande cathédrale du Moyen-Orient au Caire.
Mais cette posture progressiste a ses limites. En parallèle, les autorités centrales consolident leur contrôle sur les institutions religieuses, y compris chrétiennes. La décision judiciaire visant le monastère Sainte-Catherine s’inscrit dans ce cadre : renforcer l’autorité de l’État sur les territoires religieux au nom de l’« intérêt général » ou du « développement touristique.
Ce litige intervient alors que l’Égypte a lancé un vaste plan d’aménagement baptisé Grande Transfiguration, visant à transformer la ville de Sainte-Catherine en pôle touristique majeur. Si le projet prévoit des infrastructures modernes, des musées et des routes d’accès rénovées, il inquiète par son ampleur. Des démolitions de bâtiments anciens, la multiplication d’hôtels et l’arrivée de flux touristiques massifs pourraient altérer l’équilibre séculaire entre spiritualité, silence et isolement.
Pour les moines, mais aussi pour les chrétiens d’Orient, ce projet symbolise une logique de rentabilité économique qui entre en tension avec le respect du patrimoine religieux.
Pourquoi c’est une mauvaise nouvelle pour les chrétiens d’Orient
La décision du tribunal, même limitée, est perçue comme un affaiblissement de la garantie d’autonomie historique accordée à un lieu chrétien majeur. Elle envoie un signal peu rassurant à l’ensemble des minorités chrétiennes de la région : leur sécurité dépend encore trop de la bonne volonté des États, sans garanties juridiques solides ou pérennes.
Dans un contexte où les chrétiens d’Orient sont déjà fragilisés – par les guerres, les discriminations, l’exil ou les marginalisations sociales –, ce genre de décision résonne comme un rappel brutal : leur présence historique peut être révisée, même dans les lieux les plus emblématiques.
Le monastère Sainte-Catherine n’est pas qu’un monument : c’est une vigie de la mémoire chrétienne d’Orient. Son isolement est sa richesse, sa fragilité est sa force. Le défendre, c’est refuser que la foi et l’histoire soient sacrifiées sur l’autel du développement économique ou du centralisme administratif. Les intentions gouvernementales, même enveloppées de discours patrimoniaux, doivent être jugées à leurs effets concrets.
Aujourd’hui plus que jamais, préserver le monastère Sainte-Catherine, c’est protéger un pan vivant de la présence chrétienne au Proche-Orient.