Ces derniers mois, la relation entre le patriarche grec-orthodoxe Jean X d’Antioche et le président syrien Ahmad al-Sharaa a traversé des secousses inédites, notamment à la suite de l’attentat de l’église Mar Elias, révélant la fragilité mais aussi l’importance du rôle des communautés chrétiennes dans la Syrie d’aujourd’hui.

En janvier 2025, le patriarche Jean X, accompagné des autres patriarches syriaque et melkite, avait adressé ses félicitations au nouveau président Ahmad al-Sharaa. Le ton était alors à la réconciliation et à l’espoir : construire une « nouvelle Syrie » dans la sécurité, la liberté et la dignité. Jean X avait même déclaré : « Notre Croix restera embrassant le Croissant de la tolérance ».

Quelques mois plus tard, le 22 juin 2025, un attentat-suicide frappe l’église Mar Elias dans la banlieue de Damas, causant des dizaines de morts. Cet événement marque un tournant. Lors des funérailles, le patriarche Jean X abandonne son texte préparé et parle avec le cœur : « Ce qui s’est passé est un massacre. C’est une attaque ciblée contre l’entité chrétienne, et une attaque contre toute la Syrie. » Dans un discours sans précédent, il interpelle directement le président : « Monsieur le Président, ce n’est pas assez de présenter vos condoléances. Le peuple a faim, le peuple attend des actes. Nous sommes un composant intégral de cette nation et nous sommes là pour rester. » La diffusion en direct par la télévision d’État est brusquement interrompue lorsque le patriarche s’adresse au gouvernement, révélant l’embarras officiel face à de telles critiques.

Dans les jours qui suivent, les fidèles expriment leur douleur et leur colère. Aucun deuil national n’est proclamé, les drapeaux ne sont pas mis en berne. Pour beaucoup, c’est un signe d’indifférence du pouvoir. Le patriarche, lui, continue de dénoncer le manque de protection et d’exiger des mesures concrètes. Pendant plus d’un mois, le gouvernement reste silencieux. Puis, le 13 août, Maher al-Sharaa, frère du président, se rend au Patriarcat pour présenter enfin ses condoléances officielles. Les victimes sont reconnues comme « martyrs », un geste symbolique mais tardif.

Quelques jours plus tard, le 17 août 2025, Jean X est reçu au Palais du Peuple par le président al-Sharaa. Le patriarche maintient un ton ferme mais conciliant : il ne s’agit plus de paroles mais d’actions. Il réclame une véritable protection des communautés chrétiennes, la réintégration de leurs membres dans les forces de sécurité, et un contrôle effectif des milices islamistes dans les quartiers chrétiens. De son côté, le président met en avant le rôle de l’Église dans la cohésion nationale et cherche à apaiser les inquiétudes.

En quelques mois, la relation entre le patriarche et le président est passée de l’espérance au conflit ouvert, puis à une tentative de réconciliation. L’attentat de l’église Mar Elias a mis en lumière la vulnérabilité des chrétiens en Syrie, mais aussi leur rôle incontournable dans la construction de l’avenir du pays. Pour les fidèles, une question demeure : les promesses de protection et d’unité se traduiront-elles enfin en actes concrets ?